vendredi 23 décembre 2016

Le mouton gris (conte de Noel)

Santa Simon
Un ptit cadeau de Noel de la part d'un bon ami à moi.

par Simon Blouin
Il espérait que cette veille de Noël fut le dernier jour de sa vie, tellement la perspective de passer seul cette soirée l’angoissait. Malgré une assez bonne forme physique pour ses 81 ans, Napoléon Novak souffrait d’un ennui profond. À tous les jours, il devait prendre une panoplie de pilules et s'imagina même les avaler toutes d’un coup pour en finir avec cette existence dépourvue de plaisirs.

Toutes les douceurs que pouvait lui fournir la résidence haut-de-gamme pour retraités qui l’abritait ne suffisaient pas à lui arracher son appréhension de vivre ce 24 décembre en solitaire.

Selon une habitude de plus de 50 ans, il avait installé, quelques jours auparavant, une très ancienne crèche de Noël sous un magnifique sapin. Cette crèche, fabriquée de plomb, lui avait été donnée par un collègue colonel du régiment dont il faisait partie durant la dernière guerre mondiale. Un ensemble un peu usé, avec le St-Joseph qui a perdu sa canne et le bœuf à une seule corne.

Penché sur son vieux souvenir, il se sentit interpellé par un mouton gris qui lui faisait signe avec sa tête, comme s’il voulait qu’il se rapproche. Le vieil homme pensa pour un instant qu’il hallucinait à cause d'un deuxième verre de sherry, ce qu’il ne faisait pas habituellement, ou peut-être s’était-il penché trop longtemps et que le sang lui avait monté à la tête? Rien de tout cela. Le mouton gris l’appela par son prénom : «Napoléon, tu es seul parce que tu n’as pas d’amis et tu n’as pas d’amis parce que tu n’as jamais rien donné! Tu as passé ta vie à prendre et à profiter de ton entourage et maintenant tu cherches à éviter de passer seul la fête du partage et de la fraternité. Cette soirée magique est devenue pour toi la prison de ta nostalgie.»

Lui qui jadis était un riche importateur d’œuvres d’art avait été marié à une belle rousse avec laquelle il vécut heureux pendant 39 ans. Celle-ci était décédée subitement alors qu’ils étaient en voyage d’affaires à l’étranger. C’est avec cette femme qu’il passa les réveillons de Noël les plus chaleureux de sa vie.

Surpris par cette déclaration pleine de vérité, le vieillard de nature combative répliqua en énumérant ses nombreuses participations à des causes humanitaires alors qu’il était encore actif en affaires. Il rappela au mouton gris qu’il avait même été président d’honneur d’une importante campagne de financement de la Croix-Rouge. La bête de plomb répliqua aussitôt qu’il avait fait cela pour un bien-paraître corporatif et que ses gestes philanthropiques avaient toujours été dépourvus de charité réelle. Cette dernière accusation lui rappela un énoncé de Mère Theresa qui l’avait un peu touché : «Ce n’est pas le montant d’argent que l’on donne qui importe, mais l’intensité d’amour qui nous anime quand on donne.»

Toujours penché sur sa vieille crèche, il ne pouvait pas quitter des yeux cette figurine de plomb qui représentait une sorte de conscience accusatrice. Le mouton gris continua : «Tu cherches un bonheur dans une fête religieuse qui est une occasion de se rassembler et de partager. Tu as tout pour partager, mais personne avec qui le faire.» Une fois de plus, cette deuxième accusation lui rappela une maxime inscrite sur une plaque de reconnaissance qui lui avait été offerte il y a belle lurette. «Si tu veux comprendre le mot bonheur, il faut l’entendre comme une récompense et non pas comme un objectif.» Celle-ci était signée de St-Exupéry.

Accroupi, immobile devant la scène, fixant toujours ce satané mouton au regard belliqueux, le vieil homme attendait une autre accusation qui ne tarda pas à venir : «Vous êtes un raté parce que, même avec tout votre argent, vous êtes incapable de vous payer le sentiment qui vous manque.» Outré par cette dernière vérité, il lui revint à l’esprit une phrase célèbre de son mentor, le général Patton : «La réussite n’est pas quand tu es au sommet, mais quand tu touches le fond et que tu es capable de rebondir.»

En se redressant, le vieil homme se demanda à quoi peut bien servir une épreuve si on n’y trouve pas une leçon? Il prit son manteau, s’en alla rejoindre quelques voisins qui s’étaient portés volontaires dans un réveillon de charité. Pour une rare occasion dans sa vie, il donna sans attente et revint chez lui avec un fort sentiment d’accomplissement.

Il avait trouvé son propre bonheur dans celui des autres.


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